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Litige

Les contrats « au noir », à vos risques et périls

  • Jean-Simon Britten
Par Jean-Simon Britten Associé
En 1789, Benjamin Franklin écrivait qu’il n’y avait que la mort et les impôts d’inévitable dans notre existence.

Malgré tout, plusieurs tentent de défier cette fatalité en multipliant les stratagèmes illégaux afin de se soustraire à leur obligation fiscale. Une des méthodes utilisées par le contribuable est de conclure des ententes dites « au noir ». Cependant, les parties impliquées dans ce genre de stratagème oublient souvent de prendre en considération toutes les conséquences qu’engendre le paiement au noir. En effet, qu’advient-il si la contrepartie d’un paiement au noir est inexécutée ou mal exécutée? La partie lésée peut-elle se tourner vers les tribunaux pour faire valoir ses droits? Le cas échéant, quel est le traitement que réservent les tribunaux face à ce type d’entente? C’est ce que nous examinerons en détail aujourd’hui.

La loi fiscale et l’ordre public :

Au cours des dernières années, les tribunaux ont eu à statuer sur le sort réservé au contrat comportant un paiement au noir, qu’il soit partiel ou total. Un courant jurisprudentiel majoritaire a statué qu’un contrat qui a pour but d’éviter l’application des lois fiscales est contraire à l’ordre public1

D’ailleurs, dans Riccio c. Di Raddo, la juge Lavigne souligne que contrevenir à la loi fiscale comporte les mêmes conséquences que contrevenir à d’autres lois en écrivant :

[52]      La loi fiscale s'impose à tous les individus et doit être respectée au même titre que toute autre loi édictée par le législateur. Il s'agit d'une responsabilité légale et aussi sociétale. […]

Dès lors qu’un contrat est contraire à l’ordre public, il est sanctionné de nullité absolue. En d’autres termes, il sera considéré comme n’ayant jamais existé. À noter que les tribunaux peuvent même soulever d’office la nullité absolue d’un contrat lorsqu’il constate qu’il est contraire à l’ordre public.

La nullité absolue et ses effets :

Dans un tel contexte, comment les tribunaux gèrent-ils les conséquences inhérentes à la nullité de ce genre de contrat? Dans le jugement DF Coffrages inc. c. Grimard, l’honorable juge Bachand dresse un portrait exhaustif de la jurisprudence récente développée en la matière. De son analyse, nous faisons les constats suivants :

(1)    Tout d’abord, les tribunaux semblent refuser de faire droit à des réclamations fondées sur un contrat dont l’une des obligations contrevient aux lois fiscales;
(2)    Les tribunaux n’hésitent pas à déclarer d’office qu’un contrat est nul dès lors qu’ils constatent qu’une des obligations contractuelles est contraire aux lois fiscales;
(3)    Deux courants jurisprudentiels se sont développés sur les remèdes à appliquer à des contrats annulés dans de telles circonstances.

L’un des deux courants jurisprudentiels applique le principe de la restitution des prestations prévu à l’article 1699 C.c.Q.. En effet, le Code civil du Québec prévoit qu’en cas de nullité d’un contrat, les parties doivent être remises dans leur état originel. Les tribunaux ont établi que le recours à ce principe, dans un contexte de contrat au noir, doit être utilisé avec discrétion pour éviter de créer une injustice en appliquant la restitution des prestations. L’honorable Daniel Bourgeois, j.c.q., explique d’ailleurs très bien le raisonnement derrière ce résultat2:

[26]     Ainsi, bien que le Tribunal peut conclure à la nullité absolue du contrat et rejeter la réclamation, le tempérament énoncé à l’article 1699 C.c.Q., permet au tribunal, dans certains cas, d’accorder ou de refuser la restitution des prestations, notamment afin d’éviter une injustice flagrante ou de provoquer l’enrichissement indu de l’une des parties, au détriment de l’autre. Cet article permet ainsi d’éviter l’ajout d’une seconde immoralité en refusant la remise en équilibre des parties. Il s’agit donc d’un pouvoir modérateur qui permet de parvenir à un résultat plus équitable, malgré la nullité de l’entente sous-jacente.

Selon l’autre courant, les tribunaux doivent simplement refuser d’entendre les parties dans une cause basée sur une entente « au noir », puisqu’elle est contraire à l’ordre public. Ce courant jurisprudentiel s’inspire fortement d’une maxime latine, « frustra legis auxilium quaerit qui in legem committit », qui signifie que celui qui viole la loi recherche en vain son secours. Cette maxime se retrouve d’ailleurs gravée dans la pierre de l’édifice de la Cour d’appel du Québec à Montréal. Dans la décision Beaudoin c. 9117-3310 Québec inc., l’honorable juge Théroux s’appuie sur plusieurs jugements antérieurs pour rendre sa décision3

[33]    Dans les affaires Maluorni, Arb-val, Limoges, YLT Gest-Expert inc. et Girouard, la Cour du Québec a systématiquement refusé de faire droit à des réclamations fondées sur des prestations contractuelles convenues en contravention aux lois fiscales.
[34]    La même solution s'applique ici. Le contrat en litige, couvert de nullité absolue, n'est pas susceptible d'exécution judiciaire.

En conclusion :

Les remèdes présentés par ces deux courants jurisprudentiels sont loin d’être des solutions optimales pour les parties ayant contracté « au noir », puisque dans tous les cas, les tribunaux concluent à la nullité du contrat. Ce faisant, les parties perdent ainsi tous leurs recours et garanties qu’elles auraient autrement pu faire valoir à l’encontre de l’autre, puisque leur contrat est réputé n’avoir jamais avoir existé. 

Par exemple, si vous faites construire une maison neuve et payez une portion « au noir » afin d’éviter de payer des taxes sur cette somme, vous risquez de perdre TOUS vos recours en dommages ainsi que toutes les garanties en lien avec la construction d’une maison. Pour l’entrepreneur qui accepte un tel paiement, il met en péril ses chances de recouvrer des sommes qui pourraient être restées impayées. Cela même si ce n’est qu’une partie du montant qui est payée « au noir ». Le jeu n’en vaut évidemment pas la chandelle. Évitez simplement ce genre de question en opérant à l’intérieur des lois et en allant chercher le support d’un expert, lorsque nécessaire.

Finalement, nous sommes d’avis que la Cour d’appel du Québec devra trancher le débat sur cette question puisque les deux courants jurisprudentiels sont contradictoires quant au remède à appliquer lorsqu’un tribunal conclut à la nullité absolue d’un contrat « au noir ». 

Notre équipe de litige est toujours disponible pour répondre à vos questions et vous épauler dans vos démarches juridiques lorsque nécessaire. 

1 Riccio c. Di Raddo, 2010 QCCQ 6889; YLT Gest-Expert inc. c. Laporte, 2011 QCCQ 9563; Girouard c. Toitures Yves Daigneault inc., 2011
QCCQ 14844; Beaudoin c. 9117-3310 Québec inc., 2012 QCCQ 537; DF Coffrages inc. c. Grimard, 2015 QCCQ 4282

2 Diaz c. Montalvo, 2015 QCCQ 5762, par. 26.

3 Beaudoin c. 9117-3310 Québec inc., 2012 QCCQ 537, par. 33-34.

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