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Immobilier et construction

L’obligation d’exploiter un commerce dans les lieux loués

  • Marc Perron
Par Marc Perron Avocat senior - Litige
Les praticiens du droit immobilier et leurs clients le savent, un local commercial loué, surtout lorsqu’il fait partie d’un centre d’achats, ne doit pas être laissé à l’abandon.

C’est pourquoi les rédacteurs de baux ont élaboré et utilisent fréquemment des clauses qui visent à exiger du locataire qu’il exploite activement son commerce dans les lieux loués. Cette obligation s’ajoute à celle de payer le loyer.

L’obligation d’exploitation continue n’est pas une obligation banale. Dans une logique d’affaires, un locataire qui accumule des pertes d’exploitation ferme généralement boutique. Toutefois, le contrat est la loi des parties et le locataire qui s’y est engagé devra gérer ses affaires en conséquence et continuer à opérer son commerce, et ce, même s’il subit des pertes d’exploitation.

Pour forcer l’exécution d’une telle obligation le recours utile pour le bailleur est l’injonction. Lorsque le bail contient une clause d’exploitation continue, les tribunaux n’hésitent d’ailleurs pas à forcer l’exécution en nature de cette obligation et à émettre une ordonnance d’injonction qui force le locataire à exploiter son commerce.

Le fardeau de convaincre un juge qu’une injonction est appropriée appartient au bailleur. Ainsi, non seulement les clauses du bail doivent-elles être convaincantes, mais le bailleur doit démontrer qu’il subit un préjudice sérieux et irréparable de la fermeture, imminente ou accomplie, du commerce de son locataire. Les tribunaux apprécient les circonstances particulières d’une cause afin d’évaluer le préjudice subi et il est maintenant établi qu’un locataire qui occupe un espace significatif dans un centre commercial, ou un locataire qui exploite un commerce majeur, attire généralement de la clientèle et donne au centre commercial une force d’attraction qui justifie l’émission d’une injonction1.

Des ordonnances d’injonction ont aussi été émises sur la seule base que des clauses du bail obligeaient le locataire à opérer et que la fermeture imminente de son commerce causerait un préjudice évident au bailleur, sans égard à la superficie relative du local ou à la force d’attraction du locataire2. Les clauses d’exploitation sont parfois limpides. Toutefois, certains baux font uniquement référence aux heures d’ouvertures des commerces et assujettissent les locataires d’un centre commercial à des règlements internes. On peut, selon l’état actuel du droit, comparer certaines de ces clauses relatives aux heures d’ouvertures à une clause d’exploitation obligatoire.

Par contre, en l’absence de mention dans le bail, on pourrait avancer que les pertes d’exploitation justifient la fermeture d’un commerce. Les tribunaux ont eu à analyser cette question et y ont répondu, comme c’est souvent le cas, en évitant d’établir des généralités.

Dans quelques affaires rapportées, des juges ont statué que l’abandon d’un local commercial peut constituer un changement de destination des lieux loués. En appliquant ce principe et s’appuyant sur l’article 1856 du Code civil du Québec, la Cour supérieure a tranché que, même en l’absence d’une clause d’exploitation continue, l’exploitant d’une épicerie à l’intérieur d’un centre commercial a l’obligation d’occuper le local loué3. Dans cette affaire, la Cour était appelée à statuer sur une demande d’ordonnance de sauvegarde (provisoire). Le juge a analysé la jurisprudence et a conclu qu’un locataire ne peut, en cours de bail, changer la destination de la chose louée.

Dans une affaire récente, l’honorable Johanne Mainville, de la Cour supérieure, concluait que, même en l’absence d’une clause d’occupation continue, les tribunaux ont reconnu à maintes reprises que l’inoccupation prolongée d’un espace peut constituer un changement de destination. La juge donnait ainsi raison au bailleur qui cherchait, par injonction interlocutoire, à forcer un magasin de vente au détail à rester en exploitation jusqu’à la fin du bail, malgré qu’il fût déficitaire4.

Dans l’état du droit actuel, et jusqu’à ce que la Cour d’appel ou la Cour suprême tranche la question au mérite, il est difficile de conclure que l’abandon d’un local commercial constitue automatiquement un changement de destination qui est interdit. Il n’est donc pas acquis que l’obligation d’exploitation continue s’applique à tous les locataires commerciaux, dans toutes les circonstances. Comme le bailleur doit établir un droit clair et apparent, il est donc impossible de prédire qu’une injonction serait automatiquement émise dans de telles circonstances.

Par ailleurs, même si les tribunaux ont accepté que la fermeture d’un local cause généralement un préjudice sérieux au bailleur, cette preuve n’est pas toujours facile à faire et elle dépend des circonstances. L’importance relative du local loué (notoriété de la bannière et complémentarité des services offerts) ainsi que la prospérité du centre commercial ne sont que quelques facteurs à considérer5.

Dans l’affaire Les propriétés Cité Concordia ltée6,le juge Hurtubise concluait que la fermeture de la succursale bancaire entraînerait, à court terme, une diminution de la valeur foncière de la propriété, une perte de revenus et un doute sérieux quant à la possibilité de relouer l’espace en question à une autre banque. À long terme, le juge concluait qu’une telle fermeture pouvait faire craindre un sérieux effet d’entraînement (« the domino effect »), la perte de revenus directs pour le bailleur lui-même, la perte de revenus directs pour les autres locataires, la perte de revenus indirects pour le bailleur ainsi qu’une atteinte au prestige du centre commercial et du bailleur.

Cette analyse donne des pistes de réflexion à tout bailleur qui voudrait demander, par injonction, l’exploitation obligatoire d’un local et en empêcher son abandon. Les tribunaux ont reconnu que les préjudices et inconvénients mentionnés par le juge Hurtubise sont en général difficiles à prouver, mais qu’ils sont évidents. Certains juges ont adhéré au principe que la fermeture d’un local commercial peut constituer un changement de destination. Le changement de destination des lieux loués étant interdit au terme de la loi, l’injonction peut être une mesure appropriée, même en l’absence de clauses contractuelles à cet effet. Toutefois, l’état actuel du droit ne permet pas de prédire si, et dans quelles circonstances, une demande d’injonction sera accueillie. Le langage du bail, les caractéristiques du centre commercial et du local loué ainsi que l’ampleur du préjudice subi par le bailleur sont autant de critères qui doivent être considérés.

Pour éviter un imbroglio, et considérant l’incertitude qui entoure cette question juridique, un locataire aurait avantage à négocier des clauses qui lui permettent, dans certaines circonstances du moins, de cesser l’exploitation de son commerce tout en respectant son obligation de payer le loyer jusqu’à la fin du bail. On retrouve de telles clauses dans plusieurs baux. À l’inverse, le bailleur qui exige l’exploitation continue devrait non seulement le prévoir clairement au bail, mais aussi prévoir les recours disponibles en cas de défaut. Le bailleur aurait aussi avantage à faire reconnaitre par le locataire le préjudice évident qui résulterait d’un tel défaut.

Le présent article n’est pas une opinion juridique et toute personne voulant utiliser les concepts juridiques qui y sont énoncés devrait consulter un conseiller juridique afin d’obtenir une opinion adaptée à ses besoins et à jour avec les développements les plus récents du droit.



1Les Propriétés Cité Concordia Limitée c. La Banque Royale du Canada, AZ-81021444 (C.S.); confirmée par par The Royal Bank of Canada vs. Les Propriétés Cités Concordia Limitée, [1983] RDJ 524 (C.A.). Place Bonaventure Inc. c. Imasco R.I. Inc., 1993 CanLII 4197 (QCCA). Casot Ltée c. Sobeys Québec Inc,. 2005 CanLII 57240 (QCCS). Les Centres d’Achats Beauward Ltée c. Provigo Distribution Inc., 2005 CANLII 26267 (QCCA). Place Centre-Ville d’Amos (1987) c. Provigo Distribution Inc., 2007 QCCS 1637 (CanLII).
2Navarro c. Mignault, AZ-98021881 (C.S.). 1124 Iberville Inc. c. Boucherie la Généreuse Inc., 2016 QCCS 2040 (CanLII).
3Casot Ltée, Supra, note 1.
49190-9309 Québec inc. c. Rossy, 2017 QCCS 1669. Noter que la permission d’en appeler du jugement fut accordée par un juge d’appel qui a remis en question le principe de l’interdiction d’abandonner un local en l’absence d’une clause au bail mais que l’appel fut réglé hors cour. La Cour d’Appel ne s’est donc pas prononcée sur cette affaire.
5Les tribunaux semblent toutefois adhérer à l’idée que l’inoccupation d’un local commercial cause un préjudice au bailleur. À ce sujet voir : Les Centres d’Achats Beauward Ltée c. Provigo Distribution Inc., 2005 CANLII 26267 (QCCA). Place Centre-Ville d’Amos (1987) c. Provigo Distribution Inc,. 2007 QCCS 1637 (CanLII). 1124 Iberville Inc. c. Boucherie la Généreuse, 2016 QCCS 2040 (CanLII).
6Supra, note 1

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