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Famille, personnes et successions

Entre filiation, parenté et parentalité, un enfant peut-il avoir trois parents?

  • Sophia Claude
Par Sophia Claude Avocate et médiatrice
Le 2 avril 2020, la Cour suprême a rejeté la demande d’autorisation d’appel de l’arrêt de la Cour d’appel du Québec daté du 16 août 2019, nous devons donc nous référer à celle-ci pour obtenir une réponse.

Sous la plume de l’honorable Nicholas Kasirer, à laquelle souscrivent les honorables Jocelyn F. Rancourt et Stephen W. Hamilton (Droit de la famille — 191677, 2019 QCCA 1386), un enfant ne peut pas avoir trois parents. Cette décision en matière de filiation a infirmé en partie le jugement de la Cour supérieure rendu le 23 avril 2018 par l’honorable Gary D. Morrison (Droit de la famille — 18968, 2018 QCCS 1900).

Dans cette affaire, le couple formé de Mme L. et Mme R. désirent un enfant. Pour ce faire, elles signent une « Entente pour mettre un enfant au monde » avec M. M, laquelle a été notariée.

L’enfant naît suite à une relation entre R., mère biologique, et M., père biologique. Toutefois, le certificat de naissance indique que les parents de l’enfant sont R. et L. Il est à noter que L. a entrepris un processus de changement de sexe à la suite de la naissance de l’enfant, ce qui a entraîné un changement au certificat de naissance de l’enfant.

Le couple bat de l’aile et une demande en divorce est intentée. Un consentement intérimaire est ensuite signé quant à l’exercice conjoint de leur autorité parentale, et ce, sans aucune considération envers le père biologique. En réaction, M. dépose une demande introductive d’instance en reconnaissance de paternité. La question en litige se rattache donc à la détermination de la filiation de l’enfant qui est partagé entre L., R. et M.

Le juge Morrison a conclu à un projet parental entre les trois parties en vertu de l’entente notariée. En effet, les trois parties ont établi un plan de parentalité et ont prévu les rôles de chacun dans la vie de l’enfant. Conséquemment, il ne s’agit pas d’un cas de filiation par procréation assistée et les règles de la filiation par le sang s’appliquent.

La triparentalité (ou pluriparentalité) n’étant pas reconnue au Québec, la Cour supérieure accueille la demande du père biologique et ordonne au Directeur civil de modifier le certificat de naissance pour que les noms des deux parents biologiques y soient indiqués considérant que « la vérité biologique doit primer ». De plus, à la suite de la séparation, M. et R. partageaient de façon égale la garde de l’enfant tandis que L. exerçait des droits d’accès. 

Mais l’histoire ne se termine pas là puisque L. s’est adressé à la Cour d’appel afin d’infirmer le jugement de la Cour supérieure. La Cour d’appel conclut qu’il y a lieu d’infirmer en partie le jugement de première instance au motif que le juge a commis une erreur de droit dans l’interprétation législative du « projet parental avec assistance à la procréation » prévu à l’article 538 du Code civil du Québec. Plus précisément, la troisième règle identifiée par la jurisprudence a été mal interprétée puisque la distinction requise entre la « parenté » (fondée sur le lien de filiation et la « parentalité » (fondée sur l’exercice des fonctions se rattachant notamment à l’autorité parentale) aux fins de la détermination de la filiation de l’enfant n’a pas été faite.

Or, comme l’indique la Cour d’appel, « la définition du projet parental, comme fondement de la filiation par procréation assistée, repose sur une volonté´ d’établir des rapports de parente´ entre les parties au projet et l’enfant et, pour le géniteur, la conscience et l’acceptation de son rôle limite´ a` cet égard ». En l’occurrence, le père biologique a renoncé à sa filiation à la naissance de l’enfant.

Conséquemment, plutôt que d’appliquer les règles de la filiation par le sang comme le proposait le juge de première instance, la Cour d’appel applique les règles de la filiation par procréation assistée, ce qui a eu pour effet de considérer le père biologique tel un tiers externe au projet parental, n’ayant pas de droit à l’égard de l’enfant à ce titre.

Bien que les chemins utilisés par la Cour supérieure (filiation par le sang) et la Cour d’appel (filiation par procréation assistée) aient divergé quant à la détermination de la filiation de l’enfant mis en cause, un principe de droit regroupe ces deux instances judiciaires : la famille de cet enfant est biparentale dans les deux cas considérant que le droit québécois ne reconnaît pas qu’un enfant puisse avoir trois parents. Néanmoins, comme le précise la Cour d’appel, « des arrangements tels que la biparenté pour la filiation ou la triparentalité pour l’exercice de certaines responsabilités parentales peuvent s’effectuer en toute légalité puisque rien dans le droit de la procréation assistée ne s’oppose a` ce qu’un tiers au sens de la filiation soit le père biologique de l’enfant » comme ce fut d’ailleurs le cas en l’espèce en vertu de l'article 539.1 du Code civil du Québec.

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