Travail et emploi
L’entente de fin d’emploi : est-ce que le préavis minimum prévu à la LNT est une « concession » suffisante pour constituer une transaction?
Lorsque survient une fin d’emploi, il peut être avantageux pour l’employeur et l’employé de conclure une entente de fin d’emploi. Une telle entente prévoit généralement que l’employé renonce à intenter des recours contre l’employeur, relativement à sa fin d’emploi, et qu’il accepte diverses obligations visant à protéger les intérêts commerciaux de l’employeur. En échange, l’employeur verse à cet employé une contrepartie financière.
La concession
Cependant, il semble que cette contrepartie financière ne puisse se limiter au montant auquel l’employé aurait droit, suivant les dispositions de la Loi sur les normes du travail (ci-après la « L.n.t. »).
En effet, l’article 2631 du Code civil du Québec (ci-après le « C.c.Q. ») prévoit trois conditions essentielles pour qu’une telle entente de fin d’emploi constitue une transaction ayant l’autorité de la chose jugée entre les parties :
« 2631. La transaction est le contrat par lequel les parties préviennent une contestation à naître [1], terminent un procès ou règlent les difficultés qui surviennent lors de l’exécution d’un jugement [2], au moyen de concessions ou de réserves réciproques [3].
Elle est indivisible quant à son objet. »
De nombreuses décisions rendues par le Tribunal administratif du travail (ci-après le « T.A.T. »)[1] examinent ce troisième critère et soutiennent que le fait d’offrir à l’employé une somme équivalente au délai minimal prévu à l’article 82 de la L.n.t. ne représente pas une « concession » de la part de l’employeur. En effet, l’employé aurait eu droit à ces sommes, qu’une transaction soit intervenue ou non.
Une décision rendue en 1997[2] illustre également l’importance qu’accorde le législateur aux concessions réciproques. À cet effet, le ministre de la Justice compare le libellé de l’article 2631 C.c.Q. à celui de l’article 1918 de l’ancien Code civil du Bas-Canada :
« Les dispositions de ce chapitre reprennent substantiellement le droit antérieur et ne le modifient que sous deux aspects.
D’abord, le nouveau code requiert, pour qu’il y ait transaction, que des concessions réciproques interviennent entre les parties, les concessions unilatérales étant, à cet égard, insuffisantes; cette précision permettra de distinguer nettement la transaction des autres actes qui lui ressemblent. »
Dans cette décision, le Commissaire du travail estime que lorsque l’employeur offre à l’employé les conditions de départ minimales prévues à la L.n.t. en échange d’une quittance, il ne peut pas s’agir de « concessions ou de réserves réciproques ». Si une telle proposition était valide, l’employeur se trouverait alors à limiter les droits de l’employé sans obtenir une position plus avantageuse que celle à laquelle il a déjà droit en vertu de la L.n.t.
Dans le même ordre d’idée, le T.A.T. rappelait dans une décision de 2021[3] que le fait de verser à un employé le préavis auquel il a droit en vertu de son contrat de travail ne peut pas constituer une transaction au sens de l’article 2631 C.c.Q. vu l’absence de concessions réciproques.
La fin d’emploi pour faute grave
Ce constat entraîne une question supplémentaire : est-ce que le fait pour l’employeur d’offrir à l’employé une somme inférieure ou équivalente au délai minimal prévu à l’article 82 de la L.n.t.peut constituer une « concession » au sens de l’article 2631 C.c.Q. lorsque la fin d’emploi intervient pour une faute grave?
Rappelons que l’article 82.1, par. 3 de la L.n.t. prévoit qu’un employeur n’est pas tenu de donner un avis de cessation d’emploi à l’employé qui a commis une faute grave.
Dans ces circonstances, tout montant consenti à l’employé en échange d’une quittance, même un montant se situant en deçà de l’indemnité de cessation d’emploi prévue aux articles 82 et suivants de la L.n.t., est susceptible d’être considéré comme une « concession » donnant ouverture à la reconnaissance d’une transaction par les tribunaux.[4]
Le vice de consentement
De manière subsidiaire, nous attirons l’attention du lectorat sur un autre élément pouvant impacter la validité d’une transaction de fin d’emploi : le vice de consentement.
Puisqu’une transaction de fin d’emploi est un contrat, elle est soumise aux articles du C.c.Q. qui stipulent les causes de nullité des contrats[5]. Ainsi, lorsque l’employé accepte verbalement ou signe la transaction proposée, il doit le faire de manière libre et éclairée.
Il peut arriver qu’un employé, après avoir accepté les modalités de la transaction, change d’idée et invoque le stress, ou une pression quelconque de la part de l’employeur, pour soutenir que son consentement à la transaction n’était pas valide.
Afin d’éviter ce genre de situation, il est judicieux pour un employeur de prendre quelques mesures de précautions, soit de[6] :
- Rédiger la transaction en des termes clairs;
- Expliquer intégralement à l’employé les termes de la transaction envisagée;
- Accorder un délai de réflexion à l’employé;
- Permettre à l’employé de consulter un conseiller juridique indépendant ou une personne de confiance s’il le désire et;
- Prendre des notes durant la rencontre visant la signature d’une telle entente afin d’aménager une preuve en cas de litige portant sur la validité de la transaction.
En résumé, l’employeur qui souhaite conclure une transaction de fin d’emploi avec son employé doit offrir une contrepartie financière raisonnable constituant une « concession » de sa part au sens du C.c.Q. Il doit également faire preuve de transparence et s’assurer d’obtenir le consentement libre et éclairé de l’employé lors de son acceptation de la transaction.
Notre équipe en droit du travail et de l’emploi accompagne et conseille fréquemment les employeurs dans des contextes de fin d’emploi. N’hésitez pas à communiquer avec nous pour toute question en lien avec la rédaction d’une transaction.
Cet article est écrit en collaboration avec Mme Léanne Chartier, technicienne juridique.*
[1] À cet effet, voir notamment Beaudoin et Marchands en alimentation Agora inc., 1999 CanLII 31977 (QC CT),Boucher c. Viandes Or-Fil International inc, 2012 QCCRT 465, par 6, Ghobrini et Petites-Mains, 2016 QCTAT 2074, par. 28 et suivants, Dallaire et Patro de Charlesbourg inc., 2017 QCTAT 1083, par. 28, Doresca et Dynacare-Gamma Laboratory Partnership (Laboratoires médicaux Gamma-Dynacare), 2018 QCTAT 4899, par. 20 et Labranche c. Entreprise Venise Peintre inc., 2020 QCTAT 4185, par. 16 et suivants.
[2] Cassir et Lapor inc., 1997 CanLII 22424 (QC CT).
[3] Beaulieu c. Compagnie mutuelle d'assurance en église, 2021 QCTAT 2776.
[4] Cadenas c. J. P. Métal America inc., 2008 QCCRT 419, citée avec approbation dans Thellen c. Pablo, 2015 QCCRT 12, par. 92 et suivants.
[5] Articles 1399 et 1400 C.c.Q..
[6] Marianne Plamondon et Geneviève Plante, « Faisons le point sur les ententes de fin d’emploi », dans S.F.C.B.Q., Développements récents en droit de la non-concurrence (2019), p. 27.